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    Petit bréviaire tragique à l'usage des animaux humains du XXIème siècle 
La frontière homme/animal agite beaucoup les animaux humains ces derniers temps. Et la plus sensible est sans doute celle entre le singe (chimpanzé) et sapiens (nous). « Un babouin dans la famille… », un rien gênant, vexant (vexatoire, aurait dit Freud) : peut-être aurions-nous préféré être créés… Oui, avec ses 98,77 % de génome commun avec nous, notre cousin fait couler beaucoup de notre encre et, cause animale aidant, produit de la fermentation dans les cerveaux trop gros de sapiens : eh quoi, 98,77%! ; pour certains, le plus dur est fait; on ne va pas sombrer dans le narcissisme des petites différences. La frontière ? un papier à cigarettes ; embrassons-nous Folleville, et que le cercle de famille s’agrandisse ! Pardon !, s’étranglent philosophes et prêtres, vous bradez à peu de frais l’exception humaine, tout ce boulot fait par sapiens pour réussir, pour s’en sortir (de la nature) déclassé d’un coup, pour se retrouver au niveau d’un qui s’est contenté d’évoluer, etc., etc. Humiliante destitution. De l’abattoir au laboratoire, les animaux (nous en sommes) sont partout : ils intéressent la recherche, l’éthique et l’esthétique (sensibilité) de l’époque. D’accord, les 98,77% font rêver et donnent le vertige (mais à ce compte les 60% ce génome commun avec la souris ne sont pas mal non plus), mais il n’y a rien d’étonnant à ce que le savant ait cherché à faire parler (c’est le cas de le dire) les 1,23% de différence. (Coup de théâtre : en fait plutôt 6%?). Pourtant ni les savants ni les artistes ne sont des trafiquants d'opinions. Contrairement à d'autres (des noms ? : les curés, les philosophes -pas tous, d’accord-, les essayistes, les éditorialistes), ils ne veulent pas avoir le dernier mot, ne veulent pas arrêter le mouvement de la pensée et de l’imagination. Ils n’en finissent pas, et savent avec Beckett, que ça va “finir encore”. Pour en finir avec cet assaut des frontières, il faudrait donner la parole aux primates ou bien la retirer aux hommes. Plus le savoir croît, plus le trouble grandit, plus la science devient une branche de la littérature fantastique et plus le rêve continue. Imagination pas morte.  
        Jean-François Peyret 
        
      #résidence_1 
      Grenoble, février 2020
      La Direction de la Culture et de la culture scientifique s'associe à l'équipe WP2 Digital dramaturgy du Performance Lab de l'Université Grenoble Alpes pour accueillir en résidence de janvier à février la compagnie tf2, Jean-François Peyret. 
      Répétition publique le jeudi 13 février 2020 de 18h30 à 20h30 
        Présentations publiques le jeudi19 février 2020 de 19h30 à 20h15 et de 20h30 à 21h15 
        Saint-Martin-d'Hères - EST - 675, avenue centrale à Saint-Martin-d'Hère sur le campus de l'Université Grenoble Alpes.
       Ça se bouscule aux postes-frontières homme/animal. Il y en a qui poussent à lever les barrières pour se précipiter les bras ouverts dans le pays des animaux ; jusqu’où s’enfonceront ils, au-delà de chez les mammifères ? D’autres prônent le maintien de la fermeture de la frontière au motif qu’on est des animaux, mais quand même. Que peut venir faire le théâtre dans cette galère ? Il n’est pas pourvoyeur d’opinions, elles sont déjà légion. À quelle expérience peut-il plutôt inviter ? Et par quoi commencer ? 
        Et si le théâtre qui s’y connaît, pouvait, grâce à ses opérations imaginaires propres pouvait le faire revenir en évoquant justement l’expérience de ceux qui vivent, travaillent avec les bêtes ? Une expérimentation.
      
        
      #téléchargements 
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      PetitBréviaire_Partition1 
        
      #comédiens 
        Marie-Lis Cabrières, May Hilaire, Leah Lapiower, Anthony Moudir, Elphège Konbomge 
#équipe 
Jean-François Peyret (metteur-en-scène), Maëlla-Mickaëlla Maréchal (vidéo), Julie Valéro (chercheuse), Solwen Duée (assistante), Rémi Colin de Verdière (ingénieur informaticien), Nicky Rieti (scénographe), Pauline Leroy (assistante vidéo), Rémi Ronfard (chercheur sciences informatiques, INRIA), Agnès de Cayeux (plasticienne www), Cécile Rodriguez (responsable programmation EST, Grenoble), Cécile Chemin (directrice technique EST, Grenoble), Robin Belisson (régisseur son EST, Grenoble). 
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        AppleStore https://apps.apple.com/ca/app/98-77-compagnie-tf2/id962787989 (Iphone et Ipad) 
        Google Play https://play.google.com/store/apps/details?id=com.buzzinglight.tf2 (Smartphone) 
      
        
            
          2015 | 
         
       
      ANTIGONE LA PESTE (captation de la représentation du 28 mars 2015, Madagascar) 
      D'une épidémie l'autre. Les virus circulent, le théâtre avec ses mythes aussi.  
       
Création de Jean-François Peyret tf2 - compagnie Théâtre Feuilleton 2, mars 2015 - Madagascar 
DRAC Ile-de-France 
Avec : Gad Bensalem, Julia de Gasquet, Vony Ranalarimanana, Gégé Rasamoely, Fela Razafiarison Musique : Volahasiniaina Linda et Rola Gamana 
Lumières : Christophe Razafindrainibe, Volahasiniaina Linda 
Régie : Christophe Razafindrainibe 
Captation vidéo : Tovo Rasoanaivo et Andry Rakotoarivony  
Remerciements à Christophe Rogier, Minoarisoa Rajerison, à l'Institut Pasteur de Madagascar 
Avec le soutien de l’Institut Français dans le cadre de « Théâtre Export » 
  
 Que faisons-nous des morts ? S'il ne peut répondre définitivement à cette interrogation, le théâtre n'a de cesse de la reprendre. Imaginons par exemple une troupe de comédiens qui s'apprêteraient à jouer Antigone de Sophocle :  d'abord ils jouent avec, la travaillent et la soumettent à la question :pourquoi cette intransigeance d'Antigone à vouloir donner sépulture à son frère Polynice, devenu l'ennemi de la cité ? Agit-elle par devoir ou par amour (mais quel cet amour?), par obéissance à des lois supérieures ou par goût de la désobéissance  aux lois de la cité? Et pourquoi y a-t-il, au commencement de cette histoire maudite, la peste qui fera tomber Œdipe dans le piège dans lequel Antigone se trouve prise elle aussi ? Et si nous nous souvenons que le tragique est l'intrusion de l'actualité dans le mythe, il sera difficile d'oublier que la peste rôde  aujourd'hui et ici, ravivant le conflit des lois de la cité et celles de la tradition, elle reconduit les hommes devant la question : que faire des morts ? 
 Jean-François Peyret  
      #téléchargement 
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    #corpus 
         
      
        CHAT POE 
        Le chat noir, in Nouvelles histoires extraordinaires (Edgar Allan Poe, 1843, traduit par Charles Baudelaire, 1884)  
          Relativement  à la très étrange et pourtant très familière histoire que je vais  coucher par écrit, je n’attends ni ne sollicite la créance1. Vraiment,  je serais fou de m’y attendre dans un cas où mes sens eux-mêmes  rejettent leur propre témoignage. Cependant, je ne suis pas fou, et très  certainement je ne rêve pas. Mais demain je meurs, et aujourd’hui je  voudrais décharger mon âme. Mon dessein immédiat est de placer devant le  monde, clairement, succinctement et sans commentaires, une série de  simples événements domestiques. Dans leurs conséquences, ces événements  m’ont terrifié, m’ont torturé, m’ont anéanti. Cependant, je n’essaierai  pas de les élucider. Pour moi, ils ne m’ont guère présenté que de  l’horreur : à beaucoup de personnes ils paraîtront moins terribles que  baroques. Plus tard peut-être, il se trouvera une intelligence qui  réduira mon fantôme à l’état de lieu commun, quelque intelligence plus  calme, plus logique et beaucoup moins excitable que la mienne, qui ne  trouvera dans les circonstances que je raconte avec terreur qu’une  succession ordinaire de causes et d’effets très naturels.  
           
          Dès  mon enfance, j’étais noté pour la docilité et l’humanité de mon  caractère. Ma tendresse de cœur était même si remarquable qu’elle avait  fait de moi le jouet de mes camarades. J’étais particulièrement fou des  animaux, et mes parents m’avaient permis de posséder une grande variété  de favoris. Je passais presque tout mon temps avec eux, et je n’étais  jamais si heureux que quand je les nourrissais et les caressais. Cette  particularité de mon caractère s’accrut avec ma croissance, et, quand je  devins homme, j’en fis une de mes principales sources de plaisirs. Pour  ceux qui ont voué une affection à un chien fidèle et sagace, je n’ai  pas besoin d’expliquer la nature ou l’intensité des jouissances qu’on  peut en tirer. Il y a dans l’amour désintéressé d’une bête, dans ce  sacrifice d’elle-même, quelque chose qui va directement au cœur de  celui  
           
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          qui a eu fréquemment l’occasion de vérifier la chétive amitié et la fidélité de gaze de l’homme naturel.  
           
          Je  me mariai de bonne heure, et je fus heureux de trouver dans ma femme  une disposition sympathique à la mienne. Observant mon goût pour ces  favoris domestiques, elle ne perdit aucune occasion de me procurer ceux  de l’espèce la plus agréable. Nous eûmes des oiseaux, un poisson doré,  un beau chien, des lapins, un petit singe et un chat.  
           
          Ce dernier  était un animal remarquablement fort et beau, entièrement noir, et  d’une sagacité merveilleuse. En parlant de son intelligence, ma femme,  qui au fond n’était pas peu pénétrée de superstition, faisait de  fréquentes allusions à l’ancienne croyance populaire qui regardait tous  les chats noirs comme des sorcières déguisées. Ce n’est pas qu’elle fût  toujours sérieuse sur ce point, et si je mentionne la chose, c’est  simplement parce que cela me revient, en ce moment même, à la mémoire.  Pluton — c’était le nom du chat — était mon préféré, mon camarade. Moi  seul, je le nourrissais, et il me suivait dans la maison partout où  j’allais. Ce n’était même pas sans peine que je parvenais à l’empêcher  de me suivre dans les rues.  
           
          Notre amitié subsista ainsi  plusieurs années, durant lesquelles l’ensemble de mon caractère et de  mon tempérament, par l’opération du démon Intempérance, je rougis de le  confesser, subit une altération radicalement mauvaise. Je devins de jour  en jour plus morne, plus irritable, plus insoucieux des sentiments des  autres. Je me permis d’employer un langage brutal à l’égard de ma femme.  À la longue, je lui infligeai même des violences personnelles. Mes  pauvres favoris, naturellement, durent ressentir le changement de mon  caractère. Non seulement je les négligeais, mais je les maltraitais.  Quant à Pluton, toutefois, j’avais encore pour lui une considération  suffisante qui m’empêchait de le malmener, tandis que je n’éprouvais  aucun scrupule à maltraiter les lapins, le singe et même le chien,  quand, par hasard ou par amitié, ils se jetaient dans mon chemin. Mais  mon mal m’envahissait de plus en plus, — car quel mal est comparable à  l’alcool ? — et à la longue Pluton lui-même, qui maintenant se faisait  vieux et qui naturellement devenait quelque peu maussade, Pluton  lui-même commença à connaître les effets de mon méchant caractère.  
           
          1 Confiance. 
          2 Superficielle, qui manque de profondeur.  
           
            
          Une  nuit, comme je rentrais au logis très ivre, au sortir d’un de mes  repaires habituels des faubourgs, je m’imaginai que le chat évitait ma  présence. Je le saisis; mais lui, effrayé de ma violence, il me fit à la  main une légère blessure avec les dents. Une fureur de démon s’empara  soudainement de moi. Je ne me connus plus, mon âme originelle sembla  tout d’un coup s’envoler de mon corps, et une méchanceté  hyperdiabolique, saturée de gin, pénétra chaque fibre de mon être. Je  tirai de la poche de mon gilet un canif, je l’ouvris; je saisis la  pauvre bête par la gorge, et, délibérément, je fis sauter un de ses yeux  de son orbite ! Je rougis, je brûle, je frissonne en écrivant cette  damnable atrocité !  
           
          Quand la raison me revint avec le matin,  quand j’eus cuvé les vapeurs de ma débauche nocturne, j’éprouvai un  sentiment moitié d’horreur, moitié de remords, pour le crime dont je  m’étais rendu coupable; mais c’était tout au plus un faible et équivoque  sentiment, et l’âme n’en subit pas les atteintes. Je me replongeai dans  les excès, et bientôt je noyai dans le vin tout le souvenir de mon  action.  
           
          Cependant le chat guérit lentement. L’orbite de l’œil  perdu présentait, il est vrai, un aspect effrayant, mais il n’en parut  plus souffrir désormais. Il allait et venait dans la maison selon son  habitude; mais, comme je devais m’y attendre, il fuyait avec une extrême  terreur à mon approche. Il me restait assez de mon ancien cœur pour me  sentir d’abord affligé de cette évidente antipathie de la part d’une  créature qui jadis m’avait tant aimé. Mais ce sentiment fit bientôt  place à l’irritation. Et alors apparut, comme pour ma chute finale et  irrévocable, l’esprit de perversité. De cet esprit la philosophie ne  tient aucun compte. Cependant, aussi sûr que mon âme existe, je crois  que la perversité est une des primitives impulsions du cœur humain, une  des indivisibles premières facultés ou sentiments qui donnent la  direction au caractère de l’homme. Qui ne s’est pas surpris cent fois  commettant une action sotte ou vile, par la seule raison qu’il savait  devoir ne pas la commettre ? N’avons-nous pas une perpétuelle  inclination, malgré l’excellence de notre jugement, à violer ce qui est  la Loi, simplement parce que nous comprenons que c’est la Loi ? Cet  esprit de perversité, dis-je, vint causer ma déroute finale. C’est ce  désir ardent, insondable de l’âme de se torturer elle-même, de violenter  sa propre nature, de faire le mal pour l’amour du mal seul, qui me  poussait à continuer, et finalement à consommer le supplice que j’avais  infligé à la bête inoffensive. Un matin, de sang-froid, je glissai un  nœud coulant autour de son cou, et je le pendis à la branche d’un arbre;  je le pendis avec des larmes plein mes yeux, avec le plus amer remords  dans le cœur; je le pendis, parce que je savais qu’il m’avait aimé, et  parce que je sentais qu’il ne m’avait donné aucun sujet de colère; je le  pendis, parce que je savais qu’en faisant ainsi je commettais un péché,  un péché mortel qui compromettait mon âme immortelle, au point de la  placer, si une telle chose était possible, même au delà de la  miséricorde infinie du Dieu très miséricordieux et très terrible.  
           
          Dans  la nuit qui suivit le jour où fut commise cette action cruelle, je fus  tiré de mon sommeil par le cri : « Au feu ! » Les rideaux de mon lit  étaient en flammes. Toute la maison flambait. Ce ne fut pas sans une  grande difficulté que nous échappâmes à l’incendie, ma femme, un  domestique, et moi. La destruction fut complète. Toute ma fortune fut  engloutie, et je m’abandonnai dès lors au désespoir.  
           
          Je ne  cherche pas à établir une liaison de cause à effet entre l’atrocité et  le désastre, je suis au-dessus de cette faiblesse. Mais je rends compte  d’une chaîne de faits, et je ne veux pas négliger un seul anneau. Le  jour qui suivit l’incendie, je visitai les ruines. Les murailles étaient  tombées, une seule exceptée; et cette seule exception se trouva être  une cloison intérieure, peu épaisse, située à peu près au milieu de la  maison, et contre laquelle s’appuyait le chevet de mon lit. La  maçonnerie avait ici, en grande partie, résisté à l’action du feu, fait  que j’attribuai à ce qu’elle avait été récemment remise à neuf. Autour  de ce mur, une foule épaisse était rassemblée, et plusieurs personnes  paraissaient en examiner une portion particulière avec une minutieuse et  vive attention. Les mots « étrange ! singulier ! » et autres  expressions analogues, excitèrent ma curiosité. Je m’approchai, et je  vis, semblable à un bas-relief sculpté sur la surface blanche, la figure  d’un gigantesque chat. L’image était rendue avec une exactitude  vraiment merveilleuse. Il y avait une corde autour du cou de l’animal.  
           
          Tout  d’abord, en voyant cette apparition, car je ne pouvais guère considérer  cela que comme une apparition, mon étonnement et ma terreur furent  extrêmes. Mais, enfin, la réflexion vint à mon aide. Le chat, je m’en  souvenais, avait été pendu dans un jardin adjacent à la maison. Aux cris  d’alarme, ce jardin avait été immédiatement envahi par la foule, et  l’animal avait dû être détaché de l’arbre par quelqu’un, et jeté dans ma  chambre à travers une fenêtre ouverte. Cela avait été fait, sans doute,  dans le but de m’arracher au sommeil. La chute des autres murailles  avait comprimé la victime de ma cruauté dans la substance du plâtre  fraîchement étendu; la chaux de ce mur, combinée avec les flammes et  l’ammoniaque du cadavre, avait ainsi opéré l’image telle que je la  voyais.  
           
          Quoique je satisfisse ainsi lestement ma raison, sinon  tout à fait ma conscience, relativement au fait surprenant que je viens  de raconter, il n’en fit pas moins sur mon imagination une impression  profonde. Pendant plusieurs mois je ne pus me débarrasser du fantôme du  chat; et durant cette période un demi- sentiment revint dans mon âme,  qui paraissait être, mais qui n’était pas le remords. J’allais jusqu’à  déplorer la perte de l’animal, et à chercher autour de moi, dans les  bouges méprisables que maintenant je fréquentais habituellement, un  autre favori de la même espèce et d’une figure à peu près semblable pour  le suppléer.  
           
          Une nuit, comme j’étais assis à moitié stupéfié,  dans un repaire plus qu’infâme, mon attention fut soudainement attirée  vers un objet noir, reposant sur le haut d’un des immenses tonneaux de  gin ou de rhum qui composaient le principal ameublement de la salle.  Depuis quelques minutes, je regardais fixement le haut de ce tonneau, et  ce qui me surprenait maintenant, c’était de n’avoir pas encore aperçu  l’objet situé dessus. Je m’en approchai, et je le touchai avec ma main.  C’était un chat noir, un très gros chat, au moins aussi gros que Pluton,  lui ressemblant absolument, excepté en un point. Pluton n’avait pas un  poil blanc sur tout le corps; celui-ci portait une éclaboussure large et  blanche, mais d’une forme indécise, qui couvrait presque toute la  région de la poitrine.  
           
          À peine l’eus-je touché, qu’il se leva  subitement, ronronna fortement, se frotta contre ma main, et parut  enchanté de mon attention. C’était donc là la vraie créature dont  j’étais en quête. J’offris tout de suite au propriétaire de le lui  acheter; mais cet homme ne le revendiqua pas, ne le connaissait pas, ne  l’avait jamais vu auparavant.  
           
          Je continuai mes caresses, et  quand je me préparai à retourner chez moi, l’animal se montra disposé à  m’accompagner. Je lui permis de le faire; me baissant de temps à autre,  et le caressant en marchant. Quand il fut arrivé à la maison, il s’y  trouva comme chez lui, et devint tout de suite le grand ami de ma  femme.  
           
          Pour ma part, je sentis bientôt s’élever en moi une  antipathie contre lui. C’était justement le contraire de ce que j’avais  espéré; mais, je ne sais ni comment ni pourquoi cela eut lieu, son  évidente tendresse pour moi me dégoûtait presque et me fatiguait. Par de  lents degrés, ces sentiments de dégoût et d’ennui s’élevèrent jusqu’à  l’amertume de la haine. j’évitais la créature; une certaine sensation de  honte et le souvenir de mon premier acte de cruauté m’empêchèrent de la  maltraiter. Pendant quelques semaines, je m’abstins de battre le chat  ou de le malmener violemment; mais graduellement, insensiblement, j’en  vins à le considérer avec une indicible horreur, et à fuir  silencieusement son odieuse présence, comme le souffle d’une peste.  
           
          Ce  qui ajouta sans doute à ma haine contre l’animal fut la découverte que  je fis le matin, après l’avoir amené à la maison, que, comme Pluton, lui  aussi avait été privé d’un de ses yeux. Cette circonstance, toutefois,  ne fit que le rendre plus cher à ma femme, qui, comme je l’ai déjà dit,  possédait à un haut degré cette tendresse de sentiment qui jadis avait  été mon trait caractéristique et la source fréquente de mes plaisirs les  plus simples et les plus purs.  
           
          Néanmoins, l’affection du chat  pour moi paraissait s’accroître en raison de mon aversion contre lui. Il  suivait mes pas avec une opiniâtreté qu’il serait difficile de faire  comprendre au lecteur. Chaque fois que je m’asseyais, il se blottissait  sous ma chaise, ou il sautait sur mes genoux, me couvrant de ses  affreuses caresses. Si je me levais pour marcher, il se fourrait dans  mes jambes, et me jetait presque par terre, ou bien, enfonçant ses  griffes longues et aiguës dans mes habits, grimpait de cette manière  jusqu’à ma poitrine. Dans ces moments-là, quoique je désirasse le tuer  d’un bon coup, j’en étais empêché, en partie par le souvenir de mon  premier crime, mais principalement, je dois le confesser tout de suite,  par une véritable terreur de la bête.  
           
          Cette terreur n’était pas  positivement la terreur d’un mal physique, et cependant je serais fort  en peine de la définir autrement. Je suis presque honteux d’avouer, oui,  même dans cette cellule de malfaiteur, je suis presque honteux d’avouer  que la terreur et l’horreur que m’inspirait l’animal avaient été  accrues par une  
           
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          des plus parfaites chimères qu’il fût possible de concevoir. Ma femme avait appelé mon attention plus  
           
          d’une  fois sur le caractère de la tache blanche dont j’ai parlé, et qui  constituait l’unique différence visible entre l’étrange bête et celle  que j’avais tuée. Le lecteur se rappellera sans doute que cette marque,  quoique  
           
           
          3 Illusions, visions imaginaires.  
           
          grande,  était primitivement indéfinie dans sa forme; mais, lentement, par  degrés, par des degrés imperceptibles, et que ma raison s’efforça  longtemps de considérer comme imaginaires, elle avait à la longue pris  une rigoureuse netteté de contours. Elle était maintenant l’image d’un  objet que je frémis de nommer, et c’était là surtout ce qui me faisait  prendre le monstre en horreur et en dégoût, et m’aurait poussé à m’en  délivrer, si je l’avais osé; c’était maintenant, dis-je, l’image d’une  hideuse, d’une sinistre chose, l’image du gibet4 ! oh ! lugubre et  terrible machine ! machine d’horreur et de crime, d’agonie et de mort !  
           
          Et  maintenant, j’étais en vérité misérable au-delà de la misère possible  de l’humanité. Une bête brute, dont j’avais avec mépris détruit le  frère, une bête brute, engendrée pour moi, pour moi, homme façonné à  l’image du Dieu très haut, une si grande et si intolérable infortune !  Hélas ! je ne connaissais plus la béatitude du repos, ni le jour ni la  nuit ! Durant le jour, la créature ne me laissait pas seul un moment; et  pendant la nuit, à chaque instant, quand je sortais de mes rêves pleins  d’une intraduisible angoisse, c’était pour sentir la tiède haleine de  la chose sur mon visage, et son immense poids, incarnation d’un  cauchemar que j’étais impuissant à secouer, éternellement posé sur mon  cœur !  
           
          Sous la pression de pareils tourments, le peu de bon qui  restait en moi succomba. De mauvaises pensées devinrent mes seules  intimes, les plus sombres et les plus mauvaises de toutes les pensées.  La tristesse de mon humeur habituelle s’accrut jusqu’à la haine de  toutes choses et de toute humanité; cependant, ma femme, qui ne se  plaignait jamais, hélas ! était mon souffre-douleur ordinaire, la plus  patiente victime des soudaines, fréquentes et indomptables éruptions  d’une furie à laquelle je m’abandonnai dès lors aveuglément.  
           
          Un jour, elle m’accompagna pour quelque besogne domestique dans la cave du vieux bâtiment où notre  
           
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          pauvreté nous contraignait d’habiter. Le chat me suivit sur les marches roides de l’escalier, et m’ayant  
           
          presque  culbuté la tête la première, m’exaspéra jusqu’à la folie. Levant une  hache, et oubliant dans ma rage la peur puérile qui jusque-là avait  retenu ma main, j’adressai à l’animal un coup qui eût été mortel, s’il  avait porté comme je le voulais; mais ce coup fut arrêté par la main de  ma femme. Cette intervention m’aiguillonna jusqu’à une rage plus que  démoniaque; je débarrassai mon bras de son étreinte et lui enfonçai ma  hache dans le crâne. Elle tomba morte sur la place, sans pousser un  gémissement.  
           
          Cet horrible meurtre accompli, je me mis  immédiatement et très délibérément en mesure de cacher le corps. Je  compris que je ne pouvais pas le faire disparaître de la maison, soit de  jour, soit de nuit, sans courir le danger d’être observé par les  voisins. Plusieurs projets traversèrent mon esprit. Un moment j’eus  l’idée de couper le cadavre par petits morceaux, et de les détruire par  le feu. Puis je résolus de creuser une fosse dans le sol de la cave.  Puis je pensai à le jeter dans le puits de la cour, puis à l’emballer  dans une caisse comme marchandise, avec les formes usitées, et à charger  un commissionnaire de le porter hors de la maison. Finalement, je  m’arrêtai à un expédient que je considérai comme le meilleur de tous. Je  me déterminai à le murer dans la cave, comme les moines du Moyen-Age  muraient, dit-on, leurs victimes.  
           
          La cave était fort bien disposée pour un pareil dessein. Les murs étaient construits négligemment, et  
           
          avaient été récemment enduits dans toute leur étendue d’un gros plâtre que l’humidité de l’atmosphère  
           
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          avait empêché de durcir. De plus, dans l’un des murs, il y avait une saillie causée par une fausse  
           
          cheminée,  ou espèce d’âtre, qui avait été comblée et maçonnée dans le même genre  que le reste de la cave. Je ne doutais pas qu’il ne me fût facile de  déplacer les briques à cet endroit, d’y introduire le corps, et de murer  le tout de la même manière, de sorte qu’aucun œil n’y pût rien  découvrir de suspect.  
           
          Et je ne fus pas déçu dans mon calcul. À  l’aide d’une pince, je délogeai très aisément les briques, et, ayant  soigneusement appliqué le corps contre le mur intérieur, je le soutins  dans cette position jusqu’à ce que j’eusse rétabli, sans trop de peine,  toute la maçonnerie dans son état primitif. M’étant procuré du mortier,  du sable et du poil avec toutes les précautions imaginables, je préparai  un crépi qui ne pouvait pas être distingué de l’ancien, et j’en  recouvris très soigneusement le nouveau briquetage. Quand j’eus fini, je  vis avec satisfaction que tout était pour le mieux. Le mur ne  présentait pas la plus légère trace de dérangement. J’enlevai tous les  gravats avec le plus grand soin, j’épluchai pour ainsi dire le sol. Je  regardai triomphalement autour de moi, et me dis à moi-même : ici, au  moins, ma peine n’aura pas été perdue !  
           
          4 Potence, structure utilisée pour la pendaison. 5 Raides. 
          6 Renfoncement.  
           
            
          Mon  premier mouvement fut de chercher la bête qui avait été la cause d’un  si grand malheur; car, à la fin, j’avais résolu fermement de la mettre à  mort. Si j’avais pu la rencontrer dans ce moment, sa destinée était  claire; mais il paraît que l’artificieux animal avait été alarmé par la  violence de ma récente colère, et qu’il prenait soin de ne pas se  montrer dans l’état actuel de mon humeur. Il est impossible de décrire  ou d’imaginer la profonde, la béate sensation de soulagement que  l’absence de la détestable créature détermina dans mon cœur. Elle ne se  présenta pas de toute la nuit, et ainsi ce fut la première bonne nuit,  depuis son introduction dans la maison, que je dormis solidement et  tranquillement; oui, je dormis avec le poids de ce meurtre sur l’âme.  
           
          Le  second et le troisième jour s’écoulèrent, et cependant mon bourreau ne  vint pas. Une fois encore je respirai comme un homme libre. Le monstre,  dans sa terreur, avait vidé les lieux pour toujours ! Je ne le verrais  donc plus jamais ! Mon bonheur était suprême ! La criminalité de ma  ténébreuse action ne m’inquiétait que fort peu. On avait bien fait une  espèce d’enquête, mais elle s’était satisfaite à bon marché. Une  perquisition avait même été ordonnée, mais naturellement on ne pouvait  rien découvrir. Je regardais ma félicité à venir comme assurée.  
           
          Le  quatrième jour depuis l’assassinat, une troupe d’agents de police vint  très inopinément à la maison, et procéda de nouveau à une rigoureuse  investigation des lieux. Confiant, néanmoins, dans l’impénétrabilité de  la cachette, je n’éprouvai aucun embarras. Les officiers me firent les  accompagner dans leur recherche. Ils ne laissèrent pas un coin, pas un  angle inexploré. À la fin, pour la troisième ou quatrième fois, ils  descendirent dans la cave. Pas un muscle en moi ne tressaillit. Mon cœur  battait paisiblement, comme celui d’un homme qui dort dans l’innocence.  J’arpentais la cave d’un bout à l’autre; je croisais mes bras sur ma  poitrine, et me promenais çà et là avec aisance. La police était  pleinement satisfaite et se préparait à décamper. La jubilation de mon  cœur était trop forte pour être réprimée. Je brûlais de dire au moins un  mot, rien qu’un mot, en manière de triomphe, et de rendre deux fois  plus convaincue leur conviction de mon innocence.  
           
          « Gentlemen,  dis-je à la fin, comme leur troupe remontait l’escalier, je suis  enchanté d’avoir apaisé vos soupçons. Je vous souhaite à tous une bonne  santé et un peu plus de courtoisie. Soit dit en passant, gentlemen,  voilà, voilà une maison singulièrement bien bâtie (dans mon désir enragé  de dire quelque chose d’un air délibéré, je savais à peine ce que je  débitais); je puis dire que c’est une maison admirablement bien  construite. Ces murs — est-ce que vous partez, gentlemen ? — ces murs  sont solidement maçonnés. »  
           
          Et ici, par une bravade frénétique,  je frappai fortement avec une canne que j’avais à la main juste sur la  partie du briquetage derrière laquelle se tenait le cadavre de l’épouse  de mon cœur.  
           
          Ah ! qu’au moins Dieu me protège et me délivre des  griffes de l’Archidémon ! À peine l’écho de mes coups était-il tombé  dans le silence, qu’une voix me répondit du fond de la tombe ! Une  plainte, d’abord voilée et entrecoupée, comme le sanglotement d’un  enfant, puis, bientôt, s’enflant en un cri prolongé, sonore et continu,  tout à fait anormal et antihumain, un hurlement, un glapissement, moitié  horreur et moitié triomphe, comme il en peut monter seulement de  l’Enfer, affreuse harmonie jaillissant à la fois de la gorge des damnés  dans leurs tortures, et des démons exultant dans la damnation !  
           
          Vous  dire mes pensées, ce serait folie. Je me sentis défaillir, et je  chancelai contre le mur opposé. Pendant un moment, les officiers placés  sur les marches restèrent immobiles, stupéfiés par la terreur. Un  instant après, une douzaine de bras robustes s’acharnaient sur le mur.  Il tomba tout d’une pièce. Le corps, déjà grandement délabré et souillé  de sang grumelé, se tenait droit devant les yeux des spectateurs. Sur sa  tête, avec la gueule rouge dilatée et l’œil unique flamboyant, était  perchée la hideuse bête dont l’astuce m’avait induit à l’assassinat, et  dont la voix révélatrice m’avait livré au bourreau. J’avais muré le  monstre dans la tombe !  
           
         
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    #corpus 
         
      HUGO 
      Le soir se déployait ainsi qu'une bannière; 
        L'oiseau baissait la voix dans le jour affaibli; 
        Tout s'apaisait dans l'air, sur l'onde; et, plein d'oubli, 
        Le crapaud, sans effroi, sans honte, sans colère, 
        Doux, regardait la grande auréole solaire; 
        Peut-être le maudit se sentait-il béni; 
        Pas de bête qui n'ait un reflet d'infini; 
        Pas de prunelle abjecte et vile que ne touche 
        L'éclair d'en haut, parfois tendre et parfois farouche; 
        Pas de monstre chétif, louche, impur, chassieux, 
        Qui n'ait l'immensité des astres dans les yeux. 
       
      ("Le crapaud" - La Légende des siècles) 
       
      FLAUBERT 
        (Bouvard et Pécuchet) 
       
      Ils ouvrirent une grenouille vivante – & constatèrent les battements du cœur – ce qui ne leur apprit rien du tout, mais leur causa un plaisir infini. » 
       
      Un chien entra, moitié dogue, moitié braque, le poil jaune, galeux, la langue pendante.  
      Que faire ? pas de sonnette | et leur domestique était sourde. Ils grelottaient, mais n’osaient bouger, dans la peur d’être mordus.  
      Pécuchet crut habile de lancer des menaces, en roulant des yeux.  
      Alors le chien aboya; et il sautait autour de la balance, où Pécuchet, se cramponnant aux cordes et pliant les genoux, tâchait de s'élever le plus haut possible.  
      — Tu t’y prends mal, dit Bouvard.  
      Et il se mit à faire des risettes au chien en proférant des douceurs.  
      Le chien, sans doute, les comprit. Il s’efforçait de le caresser, lui collait ses pattes sur les épaules, les éraflait avec ses ongles.  
      — Allons! maintenant! voilà qu’il a emporté ma culotte!  
      Il se coucha dessus et demeura tranquille. Enfin, avec les plus grandes précautions, ils se hasardèrent, l’un à descendre du plateau, l’autre à sortir de la baignoire; et quand Pécuchet fut rhabillé, cette exclamation lui échappa :  
      — Toi, mon bonhomme, tu serviras à nos expériences.  
      Quelles expériences ?  
      On pouvait lui injecter du phosphore, puis l’enfermer dans une cave pour voir s’il rendrait du feu par les naseaux. Mais comment injecter ? et du reste, on ne leur vendrait pas du phosphore.  
      Ils songèrent à l’enfermer sous une cloche pneumatique, à lui faire respirer des gaz, à lui donner pour breuvage des poisons. Tout cela peut-être ne serait pas drôle. Enfin, ils choisirent l’aimantation de l'acier par le contact de la moelle épinière.  
      Bouvard, refoulant son émotion, tendait sur une assiette des aiguilles à Pécuchet, qui les plantait contre les vertèbres. Elles se cassaient, glissaient, tombaient par terre : il en prenait d’autres, et les enfonçait vivement, au hasard. Le chien rompit ses attaches, passa comme un boulet de canon par les carreaux, traversa la cour, le vestibule et se présenta dans la cuisine. 
      Germaine poussa des cris en le voyant tout ensanglanté, avec des ficelles autour des pattes. 
      Ses maîtres, qui le poursuivaient, entrèrent au même moment. Il fit un bond et disparut.  
      La vieille servante les apostropha.  
      —C’est encore une de vos bêtises, j'en suis sûre ! 
      —Et ma cuisine, elle est propre!  
       —Ça le rendra peut-être enragé! On en fourre en prison qui ne vous valent pas!  
      Ils regagnèrent le laboratoire, pour éprouver les aiguilles.  
      Pas une n’attira la moindre limaille.  
      Puis, l’hypothèse de Germaine les inquiéta. Il pouvait avoir la rage, revenir à l’improviste, se précipiter sur eux. Le lendemain, ils allèrent partout aux informations, et pendant plusieurs années, ils se détournaient dans la campagne, sitôt qu’apparaissait un chien ressemblant à celui-là.  
      Les autres expériences échouèrent. Contrairement aux auteurs, les pigeons qu’ils saignèrent, l'estomac plein ou vide, moururent dans le même espace de temps. Des petits chats enfoncés sous l’eau périrent au bout de cinq minutes; et une oie, qu’ils avaient bourrée de garance, offrit des périostes d’une entière blancheur. (770) 
      Curzio Malaparte : la mort de Febo (Folio 215-224) 
       
      Tout à coup je vis Febo. 
      Il était étendu sur le dos, le ventre ouvert, une sonde plongée dans le foie. Il me regardait fixement, les yeux pleins de larmes. Il avait dans le regard une merveilleuse douceur. Il respirait légèrement, la bouche entrouverte, secoué par un tremblement horrible. Il me regardait fixement, et une douleur atroce me creusait la poitrine. «Febo», dis-je à voix basse. Et Febo me regardait avec dans les yeux une merveilleuse douceur. je vis Jésus-Christ en lui, je vis Jésus-Christ en lui crucifié, je vis Jésus-Christ qui me regardait avec les yeux pleins d'une douceur merveilleuse. «Febo», dis-je à voix basse, en me penchant sur lui, en caressant son front. Febo baisa ma main sans pousser le moindre gémissement. 
      Le médecin s'approcha, toucha mon bras.  
      — Je ne devrais pas interrompre l'expérience, dit-il, c'est défendu. Mais pour vous... Je vais lui faire une piqûre. Il ne souffrira pas. 
      Je pris la main du médecin entre mes mains, et lui dis, tandis que les larmes coulaient sur mon visage: 
      — Jurez-moi qu'il ne souffrira pas. 
      — Il s'endormira pour toujours, dit le médecin, je voudrais que ma mort fût aussi douce que la sienne. 
      — Je fermerai les yeux, dis-je, je ne veux pas le voir mourir. Mais faites vite, vite! 
      — Juste un instant, dit le médecin, et il s'éloigna sans bruit, glissant sur le tapis de linoléum. 
      Il alla au fond de la pièce, ouvrit une armoire. Je restai debout devant Febo, secoué d'un tremblement horrible, le visage sillonné de larmes. Febo me regardait fixement, pas un gémissement ne sortait de sa bouche. Il avait dans les yeux une merveilleuse douceur. Les autres chiens aussi étendus sur le dos dans leurs berceaux me regardaient fixement. Pas un gémissement ne sortait de leurs lèvres. Tous avaient dans les yeux une merveilleuse douceur. 
      Tout à coup, je poussai un cri de frayeur: 
      — Pourquoi ce silence? m'écriai-je, que signifie ce silence? 
      C'était un silence horrible, un silence immense, glacial, mort, un silence de neige.  
      Le médecin s'approcha, une seringue à la main. 
      — Avant de les opérer, dit-il, nous leur coupons les cordes vocales.  | 
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    #corpus 
         
      BENTHAM 
        Le retour de Jeremy  
      Le jour viendra peut-être où le reste de la création animale pourra acquérir ces droits qui n'auraient jamais dû lui être refusés, sinon par la main de la tyrannie. Les Français ont déjà découvert que la noirceur de la peau n’est nullement une raison d’abandonner sans recours un être humain au caprice d’un tourmenteur. On reconnaîtra peut-être un jour que le nombre de jambes, la pilosité ou la terminaison de l'os sacrum sont des raisons tout aussi insuffisantes d'abandonner un être sensible au même destin. Qu’y a-t-il d'autre qui oblige à tracer la ligne infranchissable ? Est-ce la faculté de raisonner, ou peut-être la faculté de discourir ? Mais un cheval ou un chien adulte est, au-delà de toute comparaison, un animal plus raisonnable, mais aussi plus susceptible de relations sociales, qu’un nourrisson d’un jour ou d'une semaine, ou même d’un mois. Mais supposons que le cas ait été différent, qu’en résulterait-il ? La question n'est pas "Peuvent-ils raisonner ?" ni  "Peuvent-ils parler ?", mais "Peuvent-ils souffrir ?" (Jeremy Bentham,  1748-1832, Principes de morale et de législation 
       
      La présidente de PETA dixit : 
        Un rat est un chien est un cochon est un enfant (sur le modèle a rose is a rose, etc). 
       
      Pourquoi ne pas dire : un escargot est une huître est un enfant ? 
       
      Paola Cavalieri 
        Comment peut-on accepter l'expérimentation animale sur les chimpanzés alors que l'on prend soin de la vie d'être humains beaucoup moins conscients qu'eux ? Il y a dans notre espèce des individus non paradigmatiques, qui sont irrévocablement dépourvus de caractéristiques typiquement humaines : les handicapés mentaux, les demeurés et les séniles. 
       
      Peter Singer, Questions d'éthique pratique 
        "Si vous pouviez vraiment déterminer en toute certitude que cette personne ne redeviendra plus jamais consciente, ce serait beaucoup mieux de se servir d'elle que d'un chimpanzé" 
       
      Braunstein "Le cochon est supérieur à l'enfant qui n'est pas conscient et n'a pas de perception de son avenir, et il y a des raisons de préférer qu'on utilise, pour les expérimentations, des enfants humains, par exemple des orphelins, ou des personnes gravement handicapées mentales, car les enfants ou les handicapés mentaux n'auraient aucun idée de ce qui va leur arriver." 
       
      Peter Singer, La Libération animale 87-88 
        Du point de vue de cet argument, les animaux non humains d’une part et les jeunes enfants attardés mentaux de l’autre se trouvent dans la même catégorie : et si nous utilisons cet argument pour justifier une certaine expérience sur des animaux non humains nous devons nous demander si nous sommes également prêts à autoriser cette même expérience sur de jeunes enfants humains ou des adultes attardés mentaux : et si nous faisons à ce sujet une différence entre ces animaux et ces êtres humains, sur quelle base pouvons-nous la fonder, si ce n’est sur un parti pris cynique — et moralement indéfendable — en faveur des membres de notre propre espèce’ ?   | 
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        Anthony - @Maëlla  
        
      Leah - @Maëlla
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